Un jour, une vieille vint trouver le seigneur. « Tu gaspilles tes guerriers sans résultat, dit-elle. Si tu me promets un présent de valeur, dès demain tu auras en ton pouvoir la jolie fille, sœur de celui qui a tué plus de la moitié de tes guerriers.
— Trouve le moyen de me ramener cette jeune fille, déclara le seigneur, et ton fils aura pour femme une de mes filles. »
La vieille salua le roi et s'en revint chez elle, où elle fit bouillir une plante
soporifique, puis, après avoir retiré les feuilles de cette
décoction, elle y délaya de la farine de mil. Avec cette pâte légère, elle prépara des galettes. La vieille prit alors le sentier qui menait au champ des orphelins et, tout en marchant, elle criait : « Galettes ! Qui veut acheter de bonnes galettes ? » Daouda, qui n'avait pas goûté de ces galettes depuis son départ du village,
héla la vieille, lui en acheta deux et les dévora à belles dents. Il n'avait pas sitôt fini de mâcher la dernière bouchée qu'il tomba à terre, profondément endormi. La vieille ne perdit pas de temps. Elle courut prévenir le seigneur qu'il pouvait sans crainte envoyer prendre Aïssata par deux hommes seulement, car son défenseur ne se réveillerait pas avant le lendemain.
Le roi dépêcha deux hommes avec ordre de se saisir de l'orpheline. Quand Aïssata les aperçut, elle secoua son frère. « Réveille-toi ! Deux hommes viennent pour s'emparer de moi !
— Passe-moi mon carquois et mon arc ! » balbutia Daouda, sans faire le moindre mouvement, tant il était engourdi par le sommeil.
Les cavaliers s'emparèrent d'Aïssata et l'amenèrent chez le roi, qui l'épousa. Quand Daouda reprit ses esprits et qu'il s'aperçut de la disparition de sa sœur, il devint à moitié fou de rage. Il s'enfonça dans la forêt, ne voulant plus voir d'êtres humains. Il y vécut, chassant avec les génies des bois ; il mangeait et dormait en leur compagnie. Il était devenu tout à fait sauvage ; des arbustes, des herbes, lui poussaient sur la tête.
Un jour que, fatigué de marcher, il s'était étendu sous un arbre, des bûcherons l'aperçurent. Ils se jetèrent sur lui, le ligotèrent et l'entraînèrent au village, où ils le livrèrent au roi. Le seigneur fit couper les herbes et les arbustes qui lui poussaient sur la tête ; on le rasa complètement. Ensuite, on le donna à Aïssata pour qu'il garde l'enfant qu'elle avait eu du roi.
Aïssata ne reconnut pas son frère en ce captif, alors que Daouda avait su tout de suite que la femme qui se tenait devant lui était sa sœur. Il prit l'enfant dans ses bras et chanta : « Ô, mon neveu, amuse-toi ! Fils de celle que j'ai nourrie avec le lait des vaches de notre père, amuse-toi ! »
Aïssata, en l'entendant, se mit à pousser des cris. Le seigneur, inquiet, accourut aussitôt. « Seigneur ! dit-elle, tu as fait de mon frère ton captif et tu me l'as donné pour garder mon fils ! »
Le roi demanda à Daouda si Aïssata disait la vérité. Celui-ci alors raconta toute son histoire. Quand son récit toucha à sa fin, son beau-frère lui donna de l'or et de l'argent en quantité, des bijoux, des chevaux, des vaches, et lui abandonna tout pouvoir sur la moitié du village. Par la suite, il lui confia une armée à commander, car Daouda avait prouvé, aux dépens même du roi, qu'il était brave et qu'il tirait adroitement à l'arc.