Rêve-d'un-Songe eut un jour l'envie de voyager. Et à ceux qui lui en demandèrent la raison, il répondit : « Je veux découvrir des choses qu'il ne m'est pas donné de voir chaque jour ». Rêve-d'un-Songe quitta donc les siens et partit. Il marchait depuis plus d'une lune, lorsqu'il vit un vieil homme qui pêchait au bord d'un fleuve. « Hey ! lui cria le vieux. Tu es Rêve-d'un-Songe, je te reconnais. J'ai bien connu ton père. Que puis-je faire pour toi ?
—Me dire où mène ce chemin.
—À ta place, je n'irais pas plus loin. Mais si tu veux continuer, je te conseille de prendre garde. Dans cette forêt, tu verras un nouveau-né suspendu à une branche. Surtout, ne fais pas attention à lui, car, en réalité, ce n'est pas un enfant mais l'odieux Serpent-qui-n'est-Jamais-Rassasié. » Avant de le laisser partir, le vieux lui donna un couteau. « Prends ça, tu pourrais en avoir besoin. »
Rêve-d'un-Songe poursuivit sa route. Bientôt, il entendit des gémissements. Un bébé était suspendu à un arbre. Il passa devant sans s'arrêter, mais après quelques pas, il s'apitoya : « Qu'as-tu donc à pleurer ainsi ?
—Cela fait plus de dix neiges que je n'ai pas tété ma mère. »
Rêve-d'un-Songe lui donna son doigt à sucer. « Tiens, prends toujours cela, je n'ai rien d'autre à t'offrir. » Le nouveau-né s'arrêta de pleurer et entreprit de sucer le doigt. Puis il aspira la main. Et bientôt tout le bras disparut dans sa bouche. Effrayé, Rêve-d'un-Songe se souvint du couteau que lui avait donné le pêcheur. Il le planta dans le corps de l'enfant et celui-ci lâcha prise aussitôt. Mais quand Rêve-d'un-Songe regarda son bras, il vit que le Serpent-qui-n'est-Jamais-Rassasié avait avalé toute sa chair. « Heureusement, se dit-il, que je ne lui ai offert qu'un seul de mes bras. » Et il se remit en chemin.