Le lendemain, lorsque le mari chien vint à nouveau chercher de la nourriture, le père remplit la petite bourse accrochée à son cou en y introduisant non pas de la viande mais de lourdes pierres. Le chien repartit à la nage, mais, alourdi par le poids de la bourse, il s'épuisa rapidement et se noya.
Le père devait désormais approvisionner lui-même quotidiennement sa fille et ses petits-enfants. Mais Sanna craignait qu'il tue également ses bébés. Elle voulut le
dissuader de revenir les voir et conseilla à ses enfants : « La prochaine fois que votre grand-père arrivera, allez à sa rencontre sur le rivage, léchez et mordillez son
kayak puis donnez-lui des petits coups de dents de plus en plus féroces. » Son plan fonctionna à merveille : apeuré par l'accueil des chiots, le père de Sanna fit demi-tour et ne revint plus jamais sur l'île. Mais à peine ce danger écarté, un autre survint aussitôt : le
spectre de la famine revint hanter la petite famille. En renonçant à leur principale source d'approvisionnement, Sanna et ses chiots étaient de nouveau confrontés à la faim. Alors, pour sauver ses enfants chiens, Sanna décida de les envoyer au loin. Elle les répartit en trois groupes et donna à chacun des consignes précises. Elle fit d'abord partir un premier groupe, muni d'arcs et de flèches, vers la forêt
boréale, en lui disant : « Partez vers le sud et restez dans la forêt, vous y trouverez toujours de quoi vous nourrir ! » C'est ainsi que ces bébés chiens devinrent les ancêtres des
Amérindiens.
Sanna prit ensuite une semelle de ses bottes et prononça des paroles si puissantes que la semelle se transforma en
umiaq, une très grande embarcation en peau de phoque. Elle y déposa les chiots du second groupe en leur disant : « Partez vers l'est, au-delà de cette grande mer, et ne revenez que sur de grands navires ! » Ils partirent sur les flots et devinrent les ancêtres des Européens.
Quant aux chiots du troisième groupe, elle préféra finalement les garder près d'elle, sur le territoire des Inuits. Ils restèrent donc sur place et se transformèrent en
ijiqqat, les esprits invisibles de l'intérieur des terres.